Bernard Pivot considera a Fernando Báez un clásico vivo
La noticia del nombramiento de Fernando Báez en la Biblioteca
Nacional de Venezuela no debe hacernos olvidar que la traducción
de su libro en Francia ha sido un best seller de Fayard,
y es comentado por todos los intelectuales de mayor rango.
Bernard Pivot considera, por ejemplo, que Fernando Baez un clásico vivo
y lo dice en su crónica:
La chronique de Bernard PIVOT
Le livre des autodafés de livres
Savez-vous qu'on débat toujours des causes de la disparition de la bibliothèque d'Alexandrie? Un tremblement de terre, la négligence des hommes ou bien leur vandalisme? Savez-vous que, déjà la proie d'un incendie en 1747, 1901 et 1942, la bibliothèque de l'Académie des sciences de Leningrad (aujourd'hui Saint-Pétersbourg) a encore flambé en février 1988 (400000 ouvrages détruits, 3,6 millions gravement endommagés)? Savez-vous que, en 1939, les bibliothécaires de la St. Louis Public Library, jugeant le roman de John Steinbeck Les Raisins de la colère obscène et communiste, en jetèrent des exemplaires sur un bûcher public? Savez-vous que, le 30 décembre 2001, dans une ville américaine de l'Etat du Nouveau-Mexique, une communauté religieuse brûla des centaines d'exemplaires des aventures du petit sorcier Harry Potter?
Pyromanes, incendiaires, pétroleurs, voici le livre qui relate vos autodafés de livres depuis l'invention de l'écriture. Casseurs, barbares, vandales, iconoclastes, prédateurs, plastiqueurs, exterminateurs, voici l'ouvrage - un gros ouvrage, forcément - dans lequel ont été répertoriées les destructions de bibliothèques et de livres, dans le monde entier, depuis que le livre est un objet de crainte ou de colère, c'est-à-dire depuis toujours. L'écrivain et érudit vénézuélien Fernando Báez a accompli ce gigantesque travail après avoir perdu une partie de son enfance dans la disparition de ses livres emportés par la crue d'un affluent de l'Orénoque. Après avoir aussi assisté à des incendies accidentels de librairies et visité des bibliothèques de Colombie ravagées par la guerre civile. Il se dit "obsédé" par la mort des livres. Comment n'aurait-il pas accepté de faire partie des commissions d'investigation des destructions de bibliothèques et de musées en Irak, depuis l'invasion américaine?
Tout n'est pas directement la faute de l'homme. Il y a aussi les catastrophes naturelles, les accidents imprévisibles, la boulimie des insectes et des souris, la fragilité des matières, l'usure du temps. Cependant, selon Fernando Báez, la "destruction préméditée" représente à peu près 60% de la perte universelle des livres. Chiffre considérable que vient étayer la longue litanie - chronologique, par pays - des récits abominables de crimes contre l'écriture, l'esprit et la liberté. Car ce ne sont pas les illettrés, les ignares, les idiots qui ont allumé le plus d'incendies. Les "bibliocastes" - c'est le Times qui, semble-t-il, inventa le terme de "bibliocauste" pour désigner les énormes autodafés des nazis - sont le plus souvent des gens intelligents et cultivés dont le fanatisme a besoin de se chauffer aux flammes des bûchers.
Les religions en ont allumé beaucoup. Dès qu'une hérésie s'annonce, on brûle. Dès qu'une contestation se manifeste, on saisit et on jette au feu. Au nom des livres sacrés - la Bible, les Evangiles, le Coran - on a interdit et détruit des millions de livres qui ont d'abord senti le soufre, puis la fumée. Ce qui était écrit sur des tablettes, des papyrus, du papier a justifié la volonté d'anéantir ce qui était écrit sur d'autres tablettes, papyrus et papiers. Surtout ne pas laisser de traces de la parole scandaleuse. Effacer de la mémoire ce qui ne mérite pas d'accéder à la mémoire. Les religions, les idéologies, les systèmes politiques, les peuples à la fureur entretenue ne détestent pas les livres en tant qu'objets. Ils les vouent aux gémonies parce qu'ils représentent, surtout s'ils n'ont pas été lus, le mal, un désordre, un écart, une menace.
Relisons là-dessus 1984, de George Orwell. Devant les autodafés de ses oeuvres, Freud disait que, quelques siècles auparavant, on l'aurait aussi envoyé au bûcher. Il est mort avant que les nazis ne s'emploient à détromper un constat trop optimiste. Cinquante ans après, le Guide suprême de la République (sic) islamique d'Iran, l'ayatollah Khomeiny, condamnait à une disparition violente un roman, Les Versets sataniques, et son auteur, Salman Rushdie. Fernando Báez écrit: "Il n'y a pas d'hégémonie religieuse, politique ou militaire sans hégémonie culturelle. Ceux qui détruisent des livres et des bibliothèques savent ce qu'ils font. Leur objectif est clair: intimider, démotiver, démoraliser, favoriser l'oubli historique, diminuer la résistance et, surtout, instiller le doute."
Le bombardement pendant trois jours de la bibliothèque de Sarajevo illustre cette volonté d'anéantir la mémoire intellectuelle d'un pays. Sur le bâtiment, des drapeaux bleus signalaient aux assaillants serbes qu'il s'agissait d'un patrimoine culturel. Leur tâche en fut facilitée: ils savaient où envoyer leurs obus incendiaires. Fernando Báez reproche aux Américains d'avoir laissé, dès la prise de Bagdad, bibliothèques et musées sans protection. Les incendies ont succédé aux pillages. On s'est d'abord servi, puis on s'est défoulé. Faut-il se réjouir que des milliers de livres précieux aient été sauvés par les voleurs?
Histoire universelle de la destruction des livres, de Fernando Báez, traduit de l'espagnol (Venezuela) par Nelly Lhermillier, Fayard, 530 p., 28 euros.
http://www.lejdd.fr/cmc/chroniques/200812/le-livre-des-autodafes-de-livres-_105247.html
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