Diario suizo elogia obra de Fernando Báez
Quand les livres brûlent
De Sumer à l'invasion de l'Irak, Fernando Bàez raconte la mort des livres. Par négligence, par accident, mais surtout dans le dessein de détruire la mémoire des peuples.
Titre: Histoire universelle de la destruction des livres. Historia universal de la destruccíon de livros
Auteur: Fernando Bàez
Editeur: Fayard
Autres informations: Trad. de Nelly Lhermillier. 528 p.
Xavier Pellegrini, Samedi 5 avril 2008
Poète et essayiste vénézuélien, Fernando Bàez a été membre de plusieurs commissions d'investigation sur le pillage massif des livres et d'autres biens culturels en Irak, dans les premiers jours de l'intervention américaine. Il raconte cette journée du 14 avril où, à la Bibliothèque nationale, près d'un million de volumes ont été livrés au feu; puis l'incendie des Archives nationales, contenant plus de dix millions de registres des périodes républicaine et ottomane; dans les jours suivants, les bibliothèques de l'Université de Bagdad et de dizaines d'autres bibliothèques dans le reste du pays. Parce que ces bâtiments et ces livres étaient des symboles du régime qui s'effondrait, mais aussi, insiste Bàez, parce que les Américains n'ont su, pas voulu peut-être, protéger un patrimoine inestimable et ont accepté cet assassinat de la mémoire dans la région même où le livre est né.
Ce spectacle effrayant a nourri un ouvrage commencé quelques années plus tôt et destiné à devenir cette Histoire universelle de la destruction des livres. Un projet ambitieux qui embrasse toute l'histoire de l'écriture, depuis les tablettes sumériennes jusqu'aux supports informatiques; parce qu'il décrit toutes les formes d'usure et de disparition, dues à la fragilité des supports et à leur stockage dans des lieux inadéquats, en passant par les catastrophes naturelles, les négligences d'entretien ainsi que les champignons, vers et autres bactéries qui rongent les réceptacles de l'écriture. Une manière de montrer que les destructions guerrières et les autodafés - qui occupent principalement l'auteur - ne sauraient expliquer la disparation complète d'œuvres majeures, durant l'Antiquité surtout.
Quand il est détruit sciemment, le livre l'est essentiellement par volonté de couper un lien mémoriel, affirme Bàez: «Si l'on ne se souvient pas de ce qu'on est, on ne se souvient pas de qui on est. Au cours des siècles, nous avons vu que lorsqu'un groupe ou une nation tente de soumettre un autre groupe ou une autre nation, la première chose qu'il fait est d'essayer d'effacer les traces de sa mémoire pour configurer son identité.» Les «bibliocaustes» sont d'ailleurs presque toujours les précurseurs des génocides. Ils visent à remplacer des livres par d'autres livres, les leurs, et tout particulièrement par leurs livres sacrés.
C'est une erreur de croire, note encore Bàez, que les destructeurs de livres sont des hommes ignares. Ils sont au contraire assez intelligents pour savoir qu'il n'y a pas d'hégémonie religieuse, politique ou militaire sans hégémonie culturelle. La chronique de Bàez est riche de philosophes, d'écrivains et autres érudits brûleurs de livres. En Egypte, le pharaon et poète Akhenaton a fait brûler tous les livres religieux antérieurs à son règne pour imposer sa propre littérature. A Athènes, les démocrates ont fait brûler un ouvrage de Protagoras. Platon lui-même a tenté d'effacer par le feu l'œuvre de Démocrite. En Chine, le philosophe Li Si, premier ministre de Qin, a prôné la destruction de tous les livres qui défendaient le retour au passé. C'est un grand bibliophile, Joseph Goebbels, qui a imaginé et mis en œuvre les autodafés nazis. En 1939, les bibliothécaires de la St. Louis Public Library ont mis sur le bûcher Les Raisins de la colère... Dans le domaine religieux, ce sont les ecclésiastiques les plus cultivés qui sont les plus prompts à exiger la destruction des textes fondateurs d'autres religions. La guerre a lieu savoirs contre savoirs, mais celles qui suivent n'épargnent personne. Comme l'écrivait Heinrich Heine, cité en ouverture du livre par Bàez, «là où l'on brûle les livres, on finit par brûler les hommes».
http://www.letemps.ch/livres/Critique.asp?Objet=5981
De Sumer à l'invasion de l'Irak, Fernando Bàez raconte la mort des livres. Par négligence, par accident, mais surtout dans le dessein de détruire la mémoire des peuples.
Titre: Histoire universelle de la destruction des livres. Historia universal de la destruccíon de livros
Auteur: Fernando Bàez
Editeur: Fayard
Autres informations: Trad. de Nelly Lhermillier. 528 p.
Xavier Pellegrini, Samedi 5 avril 2008
Poète et essayiste vénézuélien, Fernando Bàez a été membre de plusieurs commissions d'investigation sur le pillage massif des livres et d'autres biens culturels en Irak, dans les premiers jours de l'intervention américaine. Il raconte cette journée du 14 avril où, à la Bibliothèque nationale, près d'un million de volumes ont été livrés au feu; puis l'incendie des Archives nationales, contenant plus de dix millions de registres des périodes républicaine et ottomane; dans les jours suivants, les bibliothèques de l'Université de Bagdad et de dizaines d'autres bibliothèques dans le reste du pays. Parce que ces bâtiments et ces livres étaient des symboles du régime qui s'effondrait, mais aussi, insiste Bàez, parce que les Américains n'ont su, pas voulu peut-être, protéger un patrimoine inestimable et ont accepté cet assassinat de la mémoire dans la région même où le livre est né.
Ce spectacle effrayant a nourri un ouvrage commencé quelques années plus tôt et destiné à devenir cette Histoire universelle de la destruction des livres. Un projet ambitieux qui embrasse toute l'histoire de l'écriture, depuis les tablettes sumériennes jusqu'aux supports informatiques; parce qu'il décrit toutes les formes d'usure et de disparition, dues à la fragilité des supports et à leur stockage dans des lieux inadéquats, en passant par les catastrophes naturelles, les négligences d'entretien ainsi que les champignons, vers et autres bactéries qui rongent les réceptacles de l'écriture. Une manière de montrer que les destructions guerrières et les autodafés - qui occupent principalement l'auteur - ne sauraient expliquer la disparation complète d'œuvres majeures, durant l'Antiquité surtout.
Quand il est détruit sciemment, le livre l'est essentiellement par volonté de couper un lien mémoriel, affirme Bàez: «Si l'on ne se souvient pas de ce qu'on est, on ne se souvient pas de qui on est. Au cours des siècles, nous avons vu que lorsqu'un groupe ou une nation tente de soumettre un autre groupe ou une autre nation, la première chose qu'il fait est d'essayer d'effacer les traces de sa mémoire pour configurer son identité.» Les «bibliocaustes» sont d'ailleurs presque toujours les précurseurs des génocides. Ils visent à remplacer des livres par d'autres livres, les leurs, et tout particulièrement par leurs livres sacrés.
C'est une erreur de croire, note encore Bàez, que les destructeurs de livres sont des hommes ignares. Ils sont au contraire assez intelligents pour savoir qu'il n'y a pas d'hégémonie religieuse, politique ou militaire sans hégémonie culturelle. La chronique de Bàez est riche de philosophes, d'écrivains et autres érudits brûleurs de livres. En Egypte, le pharaon et poète Akhenaton a fait brûler tous les livres religieux antérieurs à son règne pour imposer sa propre littérature. A Athènes, les démocrates ont fait brûler un ouvrage de Protagoras. Platon lui-même a tenté d'effacer par le feu l'œuvre de Démocrite. En Chine, le philosophe Li Si, premier ministre de Qin, a prôné la destruction de tous les livres qui défendaient le retour au passé. C'est un grand bibliophile, Joseph Goebbels, qui a imaginé et mis en œuvre les autodafés nazis. En 1939, les bibliothécaires de la St. Louis Public Library ont mis sur le bûcher Les Raisins de la colère... Dans le domaine religieux, ce sont les ecclésiastiques les plus cultivés qui sont les plus prompts à exiger la destruction des textes fondateurs d'autres religions. La guerre a lieu savoirs contre savoirs, mais celles qui suivent n'épargnent personne. Comme l'écrivait Heinrich Heine, cité en ouverture du livre par Bàez, «là où l'on brûle les livres, on finit par brûler les hommes».
http://www.letemps.ch/livres/Critique.asp?Objet=5981
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