Le Monde elogia libro de Báez
Critique
Fernando Báez : un bûcher sans fin
LE MONDE DES LIVRES | 05.06.08 | 12h00 • Mis à jour le 05.06.08 | 12h00 Réagir Classer E-mail Imprimer Partager
Partager:
Dans Le Livre de sable (1975), Borges parle de la "combustion d'un livre infini" ; le vendeur de bibles du même texte évoque aussi un livre sans commencement ni fin, au nombre de pages "exactement infini". Dans une nouvelle antérieure, l'écrivain argentin rappelle que les dieux, selon le huitième chant de l'Odyssée, "tissent des malheurs afin que les générations futures ne manquent pas de sujets pour leurs chants". Ces rêveries s'inscrivent dans une longue suite d'images où le livre est élevé à une dignité qui dépasse celle d'un simple objet inerte, utile ou commercial... Tout ce qui, spirituellement, touche au livre - l'emploi du singulier générique semble aller de soi - prend une valeur et une éloquence particulières. Car ces images ne se contentent pas de parler à notre imagination, elles s'insinuent à la racine de notre être comme pour y révéler un sens caché.
Dans un avenir pas très lointain, il est possible que ces visions livresques perdent leur belle et obscure signification. L'idée de Mallarmé selon laquelle le monde n'existe que pour aboutir à un livre fera alors rire dans les chaumières. Là où, l'air pensif, on consultera des ouvrages virtuels stockés dans des mémoires inhumaines. En attendant, la force des images continue d'agir. Et les négatives ne sont pas les moins puissantes...
Dans un livre un peu étrange - en raison de la matière qu'il rassemble et de la façon dont il l'organise - mais bien informé, un essayiste et poète vénézuélien, Fernando Báez, met en parallèle ces mythes et la volonté bien réelle, constante, universelle, de destruction des livres au cours de l'histoire. Comme si la précieuse dignité des livres avait sa face noire, peinte avec les cendres des bûchers où l'on n'a jamais cessé de brûler des livres. Cela est vérifiable, d'Alexandrie à Sarajevo et à l'Irak, dont une grande part du patrimoine historique et littéraire fut saccagée en 2003, au moment de la chute de Saddam Hussein. Témoin de ces dernières mises à sac - elles n'eurent pas lieu qu'à Bagdad -, l'auteur brosse le tableau des autodafés qui scandent les temps anciens et modernes.
"Tuer un bon livre c'est comme tuer un homme, affirmait John Milton au milieu du XVIIe siècle. Celui qui tue un homme tue une créature douée de raison, à l'image de Dieu ; mais celui qui détruit un bon livre tue la raison même, il tue l'image de Dieu." Comme pour Mallarmé à l'instant, on sent confusément monter le danger d'entendre de telles affirmations comme autant de bonnes blagues !
--------------------------------------------------------------------------------
HISTOIRE UNIVERSELLE DE LA DESTRUCTION DES LIVRES de Fernando Báez. Ttraduit de l'espagnol (Venezuela) par Nelly Lhermillier. Fayard, 528 p., 28 €.
Patrick Kéchichian
Fernando Báez : un bûcher sans fin
LE MONDE DES LIVRES | 05.06.08 | 12h00 • Mis à jour le 05.06.08 | 12h00 Réagir Classer E-mail Imprimer Partager
Partager:
Dans Le Livre de sable (1975), Borges parle de la "combustion d'un livre infini" ; le vendeur de bibles du même texte évoque aussi un livre sans commencement ni fin, au nombre de pages "exactement infini". Dans une nouvelle antérieure, l'écrivain argentin rappelle que les dieux, selon le huitième chant de l'Odyssée, "tissent des malheurs afin que les générations futures ne manquent pas de sujets pour leurs chants". Ces rêveries s'inscrivent dans une longue suite d'images où le livre est élevé à une dignité qui dépasse celle d'un simple objet inerte, utile ou commercial... Tout ce qui, spirituellement, touche au livre - l'emploi du singulier générique semble aller de soi - prend une valeur et une éloquence particulières. Car ces images ne se contentent pas de parler à notre imagination, elles s'insinuent à la racine de notre être comme pour y révéler un sens caché.
Dans un avenir pas très lointain, il est possible que ces visions livresques perdent leur belle et obscure signification. L'idée de Mallarmé selon laquelle le monde n'existe que pour aboutir à un livre fera alors rire dans les chaumières. Là où, l'air pensif, on consultera des ouvrages virtuels stockés dans des mémoires inhumaines. En attendant, la force des images continue d'agir. Et les négatives ne sont pas les moins puissantes...
Dans un livre un peu étrange - en raison de la matière qu'il rassemble et de la façon dont il l'organise - mais bien informé, un essayiste et poète vénézuélien, Fernando Báez, met en parallèle ces mythes et la volonté bien réelle, constante, universelle, de destruction des livres au cours de l'histoire. Comme si la précieuse dignité des livres avait sa face noire, peinte avec les cendres des bûchers où l'on n'a jamais cessé de brûler des livres. Cela est vérifiable, d'Alexandrie à Sarajevo et à l'Irak, dont une grande part du patrimoine historique et littéraire fut saccagée en 2003, au moment de la chute de Saddam Hussein. Témoin de ces dernières mises à sac - elles n'eurent pas lieu qu'à Bagdad -, l'auteur brosse le tableau des autodafés qui scandent les temps anciens et modernes.
"Tuer un bon livre c'est comme tuer un homme, affirmait John Milton au milieu du XVIIe siècle. Celui qui tue un homme tue une créature douée de raison, à l'image de Dieu ; mais celui qui détruit un bon livre tue la raison même, il tue l'image de Dieu." Comme pour Mallarmé à l'instant, on sent confusément monter le danger d'entendre de telles affirmations comme autant de bonnes blagues !
--------------------------------------------------------------------------------
HISTOIRE UNIVERSELLE DE LA DESTRUCTION DES LIVRES de Fernando Báez. Ttraduit de l'espagnol (Venezuela) par Nelly Lhermillier. Fayard, 528 p., 28 €.
Patrick Kéchichian
Comments